Une insondable obscurité, 2009

IPSEIDAD 1
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Patrick Laurin était un traqueur de réel, fouillant avec minutie en quoi chaque pli de la main, des mains, de leurs mouvements ébauchés, pris sur le vif, se révélaient instantanés de destinée.  Peu à peu, dans la suite logique des années de travail sur la main et ses gestes comme métonymie du tout que nous sommes, et d’une recherche picturale sur l’absence (série ausencia) qui a naturellement amené Patrick Laurin à contempler les projections de la main puis les projections du corps.

« Contemplation », c’est la définition même que Schopenhauer donne de l’art : « La contemplation des choses, indépendante du principe de raison« .

La contemplation n’est pas se laisser aller à une impression fugace. Le peintre continue de scruter avec rigueur mais cette fois c’est l’ombre qu’il contemple en train de s’enfuir comme si elle ne laissait pas attraper comme ça. Car, encore davantage que la main dont on peut croire qu’elle nous obéit (mais « la main du diable », « les mains d’Orlac » ou celle de la nouvelle de Gérard de Nerval nous révèlent que nos pouvoir sur elle(s) sont illusoires), l’ombre échappe à notre vigilance. Elle se tapit dans sa propre ombre et nous avons le tort de l’oublier alors qu’elle conspire peut-être dans notre dos. L’ombre est le fantôme dont certains pensent qu’il nous survivra, elle se fait discrète, elle est invisible à l’aveugle alors que le manchot hallucine sa chair manquante.

Et pourtant quand, par maléfice, elle nous quitte, nous errons à sa recherche, comme damnés (Peter Schlémil, Dracula,  « L’ombre » du conte d’Andersen ou « la femme sans ombre » de Richard Strauss).

Est-ce pour cela que la nuit, on s’enveloppe la tête dans son ombre et on l’en protège ses mains sous les draps comme si elle pouvait leur porter atteinte ?

L’ombre se confond alors avec le corps dans une obscurité qui les englobe tous les deux cependant que l’esprit visite ses propres contrées secrètes.

« Dans la lumière parfois, et souvent avec, derrière eux, une insondable obscurité », écrit Rainer Maria Rilke à propos des personnages peints dans les tableaux traditionnels. Le défi de Patrick Laurin est de mettre ce fond (doit-on écrire ce fonds ?) obscur au premier plan comme si le corps qui s’y projette n’en serait que le reflet  concret.

La main, était métonymie de l’être, métaphorique de sa volonté d’emprise sur le monde ou de sa séduction de l’autre, mais voilà que l’ombre représente cet être comme une métaphore impalpable de son opaque.

L’ombre reflète « l’ample mélodie de l’arrière-fond » que cherche à saisir Rilke.*

L’ombre est notre au-delà du physique, notre métaphysique immanente. Patrick Laurin nous montre que nos activités s’accompagnent de l’ombre qui, sans substance, leur est pourtant consubstantielle. On ne peut quitter la proie pour l’ombre car l’ombre la double sans relâche liée à notre geste qui ne peut s’en rendre totalement maître.

Sa recherche picturale nous rappelle que nos actes qui sont des projets dans le faire et la temporalité, sont des tentatives (désespérées ?) de mordançage au monde, mais qu’elles ne doivent pas occulter l’occulte vertigineux du mystère qui leur est relié indissolublement.

A réunir, à réunifier pourrait-on dire, le corps et l’ombre, le concret du corps et l’obscur de l’ombre, il conjure les menaces de séparation et touche en fait au mystère de la chair qui est à la fois le montré et le caché, le vu et le senti, le corps pour autrui et l’indicible qui l’habite.

Jean-Pierre Klein,
Critique d’art, Directeur de l’Institut National d’Expression Art et Création
Paris 2009

*Rilke R. M., Notizen zur Melodie der Dinge (1898), Notes sur la mélodie des choses, Paris, Allia, 2008

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